Bonjour, comment vas-tu ?
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Oh ben moi, oui, sans problèmes. La neige et l’hiver ne m’tracassent pas. Hum ?
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Beaucoup même. Ben on n’voit pas la maison d’en face, celle des Trinckett.
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Non, il n’vente pas, la neige tombe doucement, tu dis ?
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Non ils ne viennent plus ici l’hiver, juste l’été.
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Si j’m’en souviens encore au printemps, oui, bien sur, av…
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avec plaisir, oui, j’leurs dirai ! Mais oui, voyons, ils s’souviendront d’toi ! Je n’veux pas t’déranger longtemps, mais si t’as l’temps, j’ai un nouveau rêve pour toi. C’est pour ça que j’t’appèle encore cette semaine.
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J’pense que tu vas aimer, mais je n’sais pas ce que tu pourras en faire. T’as le temps de m’écouter ? Il est bien détaillé, c’lui-là.
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La nuit dernière, enfin : tôt ce matin. Je n’l’ai pas trop ruminé encore, même …
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ouais…
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Tout frais ! Même que j’suis encore un peu sous le coup des émotions.
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Ok : j’réalise tout d’un coup que je n’suis plus enlacé, empêtré, entortillé avec moi-même. C’que j’veux dire c’est qu’mes membres ne sont plus entortillés les uns avec les autres. C’est ça. Et je n’sais pas quoi faire, comme ça. J’suis dépourvu. Même si je m’sens bien mieux, je m’sens dépourvu. C’est un état que je n’connais pas. Puis je m’rend compte qu’on m’appelle. C ‘est pas une voix, c’est … difficile à dire; c’est plus près d’un murmure silencieux.
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Oui c’est étrange, difficile à …
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Mais non j’n’en rajoute pas pour t’impressionner ! Disons un silence actif, pas passif. Un chuintement, tiens ! C’est ça qu’on dit ? Non : un chuchotement. Enfin, j’le sais c’est tout. En plus c’est comme si c’était moi-même qui m’appelait. je m’suis finalement approché d’la fenêtre. C’est la fenêtre à côté de mon établi, t’sais, au sous-sol, la petite fenêtre qui donne sur la haie du voisin ? Avec mes bras libres, j’ai pu l’ouvrir et j’ai aperçu des immeubles. Plusieurs immeubles, et c’est eux qui m’appelaient. Et j’ai encore …
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Oui ils sont grands. Et j’ai encore plus l’impression qu’c’est moi-même. Tu sais, j’le dis souvent, tout c’que j’ai connu d’ces édifices-là, c’est leurs ombres. Je n’suis jamais entré dans un immeuble, tour d’habitation ou tour de bureaux. Enfin j’exagère un peu, j’y allais quand même quand j’étais messager, à vingt ans. Maintenant il en poussent dans les quartiers près de mon ancien logement, j’les ai vus l’automne dernier quand j’ai du y retourner pou …
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Oui, oui j’m’égare, j’sais.
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Ben oui, effectivement, c’est bien moi, ça, non ?
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Oui ! Les immeubles : ils m’appèlent.
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Oui, oui… Comment ?
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Non, pas par mon nom. Mais c’est moi qu’ils appellent, ça, c’est certain.
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Ah ben … j’te dirais, tiens ben … [comme une pute r’garde un client, j’peux pas y dire ça d’même] … sans parler, juste en étant … une sorte de télépathie …
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Douce, une voix douce, presque pas une voix en fait, mais insistante. Non … pas insistante… [pas aguichante non plus; ce serait tellement plus simple « comme une pute »] l’image qui m’vient à l’esprit, parce qu’leur appel provoque un désir puissant, très puissant, ce s’rait comme une pulsion, ou comme si on étaient de connivence. Tu comprends ?
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Plus, ouain …
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L’effet dû à l’éloignement ?
Que j’aurais envie d’une aventure ? D’une fille de joie ! C’est toi qui dit ça ? Ha !
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J’en ai connu, oui, tu sais tout ça ! [mais tu n’veux jamais l’entendre pour de vrai] Pis des travelos, pis des gigolos ! [tiens !] Ha ! Tu m’fais marcher ! Là c’est toi qui m’égare !
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Sur des terrains glissants, ouain, bien plus dérangeant pour toi qu’pour moi, ça, d’habitude ; mais c’est …
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Non, jamais.
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Non - non. Mais c’est pas ça l’lien, pi’ c’est quoi ces questions-là? [c’est comme si elle lisait dans mes pensées…] T’as pas l’habitude ! […mais juste pas assez] Une fille de rue, puisque t’en parles, j’t’explique : elle a qu’à r’garder un client potentiel pour qu’il comprenne, y’a pas de mots pour ça, y’en a pas besoin ! Le lien s’arrête là, tout court, tu m’suis ?
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Bon.
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Bon, l’appel de la chair, si tu veux, si tu y tiens, mais c’est plus que ça, oh ! drôlement plus que ça! C’est fort comme quand j’étais ado, encore vert ! C’est dans le ventre! Toujours que, et ç’est pas bien long, j’tente de sortir par la fenêtre, pour mieux voir, pour les toucher … sortir mais elle est trop petite, mes épaules n’passent pas. Par contre j’peux étirer mon cou à l’extérieur bien comme i’faut, et là, à chaque fois qu’j’essaie, ces immeubles-là, ils s’éloignent, ou ils s’déforment, ou ils s’cachent derrière un voile. En tout cas, je n’peux jamais les atteindre comme j’veux. Et puis je m’réveille !
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Oui c’est tout. C’est déjà pas mal !
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Oh Maureen, t’en veux toujours plus ! Tu m’fais rire !
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Oh oui, ç’est important. Je m’sens très excité et très triste aussi : les deux s’chicanent la première place.
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Non plus maintenant, l’émotion est passée maintenant, le fait d’en avoir parlé. T’sais, c’est une excitation sans source, sans raison, sans que j’sache pourquoi.
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Oui j’sais qu’ce sont les immeubles, mais ils font juste appeler…
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Justement, au réveil, oui, c’était tellement, tellement puissant ! J’suis resté au lit pendant que ta soeur brassait dans la cuisine, parce que tout ça, ça s’est finalement retourné en fatigue.
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Ouais, si tu veux, en lassitude j’dirais, lourde. Lourde comme j’connais pas…
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Oui, c’est Miss Issippi qu’t’entends.
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Elle a sauté sur mes genoux : pour aller dehors, c’est moi qui la laisse toujours sortir le matin.
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Ben oui, il neige, mais elle n’sais pas ça, elle. Elle n’s’en souvient jamais d’une fois à l’autre.
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Si j’ai tenté de les atteindre souvent ? Oui, ben … plus ou moins sept fois, sans compter.
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J’veux les toucher, oui.
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Bon, à la fin, il t’satisfait, ce rêve-là, hum ?
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Oh, tu vas même prendre le temps d’y songer avant de m’faire part de tes impressions !
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Ben oui, tu peux m’appeler n’importe quand !
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Ah c’est c’que tu veux dire; au pire aller tu me laisses un message si j’suis parti marcher.
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Oui, oui.
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De quoi ? Pourquoi des immeubles ? J’sais tu ? Parce qu’ils s’tiennent debout, tiens ! J’sais pas, moi !
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Oui, vas-y, on s’reparle. Et puis ta soeur s’ra là !
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Ciao ! Grosses bises, Maureen !
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Bye !
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Bye.